Des millions d’enfants à travers le monde ne parlent pas la même langue à l’école et à la maison. Alors que de nombreux pays disposent de politiques soutenant l’utilisation de langues locales en classe, la mise en œuvre d’une éducation bilingue ou multilingue, reste un défi. En Amérique latine, la formation des enseignants indigènes est une question centrale, comme le montre une étude comparative du bureau de l'IIPE-UNESCO Buenos Aires.
On sait depuis longtemps qu’un un enfant apprend mieux dans sa langue maternelle. Dans les contextes où plusieurs langues cohabitent, l’enseignement bilingue ou multilingue est d’ailleurs une stratégie recommandée par les Nations Unies, pour atteindre une éducation équitable, inclusive et de qualité d’ici 2030. En Inde, les enseignants doivent composer avec des classes où se côtoient jusqu’à vingt langues différentes. En Afrique, on estime que seulement 5 à 15 % des élèves connaissent la langue internationale officielle avant de commencer l’école.
En Amérique latine, enfin, l’espagnol ou le portugais cohabitent avec les langues indigènes dans des communautés qui restent aujourd’hui encore les plus défavorisées par les systèmes éducatifs. Tant en termes d’accès à l’éducation que sur le plan de la qualité et des résultats d’apprentissage. Cette situation s’explique notamment par le manque d’attention porté à la formation des enseignants indigènes. C’est précisément l’objet de l’analyse comparative des politiques éducatives (en espagnol), réalisée par les sociologues Sylvia Schmelkes et Ana Daniela Ballesteros, pour le bureau de l’IIPE-UNESCO Buenos Aires. Les cas de la Bolivie, de la Colombie, du Mexique et du Pérou y sont étudiés plus en détails.
«La mauvaise planification de l’éducation des peuples indigènes, qui se manifeste par la négligence de la formation des enseignants bilingues (…) explique, sans la justifier, la grave situation éducative dans laquelle se trouvent [ces communautés]. »
Sylvia Schmelkes et Ana Daniela Ballesteros
Le modèle de l’éducation interculturelle bilingue s’est largement développé dans les politiques éducatives et linguistiques des pays d’Amérique latine ces vingt-cinq dernières années. L’objectif a été, d’une part, de lutter contre les discriminations à l’égard des populations indigènes et, d’autre part de préserver les langues et la culture des communautés. Le continent abrite en effet quelque 560 langues au total, la plupart en recul et certaines en grave danger d’extinction.
Les communautés indigènes représentent a minima 45 millions de personnes. Cela correspond à 8 % de la population du continent mais 14 % des populations pauvres et 17 % des personnes en condition d’extrême pauvreté.
En dépit de politiques favorables à la formation d’enseignants indigènes, le continent continue de souffrir d’un grand déficit d’enseignants qualifiés, capables à la fois de parler la langue locale en plus de la langue officielle nationale et d’enseigner dans les écoles bilingues. Parmi les nombreux freins évoqués dans le rapport : un enseignement de base historiquement trop fragile dans les communautés indigènes faute de moyens ; des difficultés liées à l’harmonisation linguistique et au matériel didactique puisque certaines langues ne sont pas documentées. Ou encore ce que les auteures appellent la « colonisation des consciences » des populations indigènes en général, et des enseignants en particulier. « Lors de leur passage dans un système éducatif assimilationniste, de nombreux enseignants indigènes ont appris à déprécier leur langue et leur culture, à s'intégrer autant que possible dans la culture dominante et, par conséquent, à refuser d'enseigner leur culture et leur langue en classe», expliquent-elles.
En dépit d’un contexte historique et culturel propre à l’Amérique latine, on retrouve des obstacles de même nature dans bien d’autres régions du monde, freinant l’intégration effective des langues et cultures locales dans les systèmes éducatifs.
Rendez-vous sur le Learning Portal de l'IIPE, où vous trouverez une sélection de ressources de notre bibliothèque sur les questions relatives à la langue d'instruction et aux résultats d'apprentissage.
Parmi les politiques nationales analysées dans le rapport, le cas colombien est particulièrement intéressant et abouti. Alternatif au modèle « ethno-éducatif » qui prévalait jusque-là dans le pays, un système éducatif proprement indigène (Sistema de Educación Indígena Propia) est né en 2007, à l’initiative des communautés. Il a obtenu la reconnaissance du gouvernement colombien deux ans plus tard. Dans ce cadre, l’Université autonome indigène interculturelle (Universidad Autónoma Indígena Intercultural), basée dans la région du Cauca au sud-ouest du pays, forme des enseignant.e.s indigènes pour tous les niveaux éducatifs, avec ses propres curricula et ses propres contenus. Elle a ainsi développé les titres de "Licencié en pédagogies communautaires" ou de "Professionnel de la revitalisation de la Terre Mère", par exemple.
« Les indigènes colombiens ont lutté pendant de nombreuses années pour faire reconnaître leurs besoins propres, leurs valeurs et leurs droits. Le contenu des programmes est basé sur ces besoins communautaires et familiaux», explique Ana Daniela Ballesteros. Pour autant, l’approche n’est pas fermée et parvient à systématiser et articuler cette approche avec des objectifs éducatifs plus universels. A ce titre, elle est considérée comme une bonne pratique.
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