Par Stefania Giannini, Sous-Directrice générale de l'UNESCO pour l'éducation, et Anne-Birgitte Albrectsen, Directrice générale, Plan International.
Tandis que le COVID-19 entraîne la fermeture des écoles dans 185 pays, Plan International et l’UNESCO alertent sur les conséquences d’une augmentation des taux d’abandon qui concerneront de manière disproportionnée les adolescentes, renforceront les disparités de genre dans le domaine de l’éducation et se traduiront par un nombre accru de cas d’exploitation sexuelle, de grossesses précoces et de mariages précoces et forcés.
Sur la population totale des élèves inscrits dans le système éducatif au niveau mondial, l’UNESCO estime que plus de 89 % sont actuellement déscolarisés du fait des fermetures d’écoles liées au COVID-19. Cela représente 1,54 milliard d’enfants et de jeunes inscrits à l’école ou à l’université, dont près de 743 millions de filles.
Parmi ces filles, plus de 111 millions vivent dans les pays les moins développés du monde, où il est déjà extrêmement difficile d’obtenir une éducation. Dans ces contextes d’extrême pauvreté, de vulnérabilité économique et de crise, les disparités de genre en matière d’éducation sont les plus importantes. Au Mali, au Niger et au Soudan du Sud – 3 pays où les taux de scolarisation et d’achèvement des études pour les filles sont parmi les plus faibles – les fermetures ont forcé plus de 4 millions de filles hors de l’école.
Ces fermetures d’écoles seront particulièrement catastrophiques pour les filles, déjà désavantagées, qui vivent dans un camp de réfugiés ou pour celles qui sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Les filles réfugiées sont deux fois moins susceptibles de suivre des études secondaires que leurs homologues masculins.
Nous commençons seulement à comprendre les impacts économiques du COVID-19, mais nous nous attendons à ce qu’ils soient généralisés et dévastateurs, surtout pour les femmes et les filles. Dans les pays du Sud, où des mesures de protection sociale limitées sont en place, les difficultés économiques causées par la crise se répercuteront sur les familles, qui devront alors assumer les coûts financiers et le bien-fondé de la scolarisation de leurs filles.
Même si de nombreuses filles poursuivront leur cursus scolaire une fois que les portes des écoles rouvriront, d’autres n’y retourneront jamais plus. Les réponses éducatives doivent privilégier les besoins des adolescentes, sous peine de perdre 20 ans de progrès réalisés en faveur de l’éducation des filles.
Leçons tirées de la crise Ebola
« Les écoles sont vides, comme un nid abandonné. Cela me rend tellement triste. L’école permet de protéger les filles des grossesses et des mariages précoces. Beaucoup de mes amies sont tombées enceintes et je me suis rendu compte que beaucoup ont été contraintes à un mariage précoce. »
– Christiana, 17 ans, Sierra Leone (pendant la crise Ebola de 2014)
Bien que l’ampleur de la crise du COVID-19 soit sans précédent, nous pouvons nous inspirer des enseignements tirés de l’épidémie d’Ebola en Afrique. Au plus fort de l’épidémie, 5 millions d’enfants ont été affectés par les fermetures d’écoles en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, les pays les plus fortement touchés par l’épidémie. Et les niveaux de pauvreté ont augmenté de manière significative à mesure que l’éducation était interrompue.
Dans de nombreux cas, les abandons scolaires étaient dus à une augmentation des responsabilités domestiques et familiales ainsi qu’à une réorientation vers des activités génératrices de revenus. Cela signifie que les possibilités d’apprentissage à la maison étaient limitées pour les filles, comme le montre une analyse réalisée par Plan International. Dans les villages où des « clubs de filles » avaient été mis en place et où des efforts de sensibilisation avaient permis de valoriser l’éducation des filles, ces incidences négatives ont touché moins de filles, et celles-ci ont alors été plus à même de poursuivre leur scolarité.
Plusieurs études ont révélé que les fermetures d’écoles aggravent la vulnérabilité des filles face aux abus physiques et sexuels commis par des camarades et par des hommes plus âgés, car les filles sont souvent seules à la maison et sans supervision. De nombreux cas de rapports sexuels monnayés ont également été signalés, tandis que les filles et leurs familles peinaient à pourvoir à leurs besoins fondamentaux. À mesure que les soutiens de famille périssaient du virus Ebola, réduisant à néant les moyens de subsistance, nombreuses sont les familles qui ont décidé de marier leurs filles, espérant, à tort, que cela leur procurerait une certaine sécurité.
En Sierra Leone, les grossesses d’adolescentes ont augmenté jusqu’à 65 % dans certaines communautés pendant la crise Ebola. Une étude révèle que, pour la plupart des filles, cette augmentation était directement liée au fait de ne plus bénéficier de l’environnement protecteur assuré par les écoles. Beaucoup de ces filles ne sont jamais retournées en classe, principalement en raison d’une politique récemment révoquée qui interdisait aux filles enceintes d’aller à l’école.
Appliquer les enseignements tirés d’Ebola au COVID-19
Pour les filles comme Christiana qui ont déjà vécu ou vivent actuellement une crise, l’éducation est une bouée de sauvetage qui les protège de la violence et de l’exploitation et qui leur apporte des compétences et l’espoir d’un avenir meilleur.
Alors que les gouvernements se préparent à fermer des écoles pour une durée indéterminée, les responsables politiques et les professionnels du secteur devraient s’inspirer des leçons des crises passées pour relever les défis spécifiques auxquels les filles sont confrontées. Nous demandons donc aux gouvernements de protéger les progrès réalisés en faveur de l’éducation des filles en appliquant ces six mesures tenant compte du genre, fondées sur des données probantes et adaptées au contexte :
En savoir plus sur la réponse de l’UNESCO face à la crise du COVID-19.
En savoir plus sur la réponse de Plan International face à la crise du COVID-19.
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