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Les implications socioculturelles du COVID-19

Professeur Fethi Mansouri, Chaire UNESCO, Diversité culturelle et justice sociale Université Deakin, Australie et coordinateur du réseau UNITWIN des Chaires UNESCO sur le dialogue interreligieux pour l’entente interculturelle, partage son point de vue sur les implications socioculturelles de COVID-19.

 

Dans le monde entier, la réponse au COVID-19 a été largement fondée sur la distanciation physique, bien que cela ait malheureusement été appelé de manière abusive dans le discours formel et informel comme la distanciation sociale. Il y a une grande différence entre les deux concepts, la distanciation physique n'empêchant pas nécessairement les contacts sociaux, tandis que la distanciation sociale suppose inévitablement une rupture de ces contacts.

 

Mais pour que l'éloignement physique n'engendre pas non plus l'éloignement social et la déconnexion interpersonnelle, certaines conditions sociétales doivent être remplies et rendues possibles sans discrimination. Celles-ci comprennent, avant tout, l'accès aux infrastructures de base telles que le logement, l’accès à internet et une réponse aux besoins élémentaires de la vie quotidienne. Malheureusement, à travers le monde et même dans certaines sociétés développées, cela n'a pas toujours été le cas. Les inégalités sociales et une marginalisation économique accrues empêchent une large proportion de la population mondiale de satisfaire ses besoins humains les plus élémentaires, sans parler de la capacité d’être physiquement distant tout en étant socialement connecté et soutenu de manière adéquate pour répondre aux besoins vitaux.

 

Les inégalités sociales et économiques accentuent le défi que représente la gestion de la propagation rapide du COVID-19 dans le monde, mais ce qui est également apparu, c'est le racisme systématique, en particulier envers les personnes d’origine asiatique, émigrées dans les sociétés occidentales. De nombreux cas d'attaques racistes dirigées à leur endroit ont été rapportés, dans de nombreux pays. Or, ce n’est pas un phénomène nouveau. Un ensemble important de preuves établies démontre qu'en période de crise - qu'elle soit économique, environnementale, sécuritaire ou sanitaire - les groupes minoritaires servent souvent de boucs émissaires et sont soumis à des discours et des pratiques racistes, exclusifs et souvent violents.

 

Le COVID-19 nous donne déjà à voir différents types de racismes visant les Asiatiques, allant de la cyberintimidation aux attaques physiques, aux trolls racistes, et à une variété de théories du complot xénophobes qui ont été articulées non seulement par des citoyens ordinaires mais aussi par certains politiciens et dirigeants. Rien de tout cela ne sert l'agenda du dialogue interculturel et son focus sur le contact interculturel, la compréhension mutuelle, l'engagement respectueux et la solidarité intercommunautaire.

 

Pourtant, l'un des principaux paradoxes de cette pandémie est peut-être que les défis que représentent la distanciation physique et la perturbation des systèmes de prestation sociale ont mis la solidarité, locale comme transnationale, au premier plan de nos réponses collectives.


 
En effet, sur fond de confinement consécutif au COVID-19, nous avons vu émerger de nombreuses pratiques créatives issues de la société civile reflétant les principes fondamentaux du dialogue interculturel. Celles-ci vont d'exemples concrets, tels que des citoyens de New York, de Paris et tant d’autres, se réunissant tous les soirs pour applaudir le personnel de santé, à la solidarité intracommunautaire en ligne, où les quartiers locaux travaillent ensemble pour garantir que les plus vulnérables, les personnes âgées et les plus démunis soient également pris en charge. À une époque où l’on constate une diminution des services sociaux, souvent assurés de façon différente du mode traditionnel auquel de nombreux bénéficiaires sont habitués, des actes d'altruisme et de soins sont signalés quotidiennement - individus et communautés de quartiers locaux livrant des courses aux personnes en difficulté, prendre des nouvelles de voisins âgés et d’autres personnes dans le besoin.

 

Il est vrai que la citoyenneté est devenue le principal marqueur d'appartenance. Cependant, alors que les gouvernements resserrent les contrôles aux frontières et ferment les aéroports, de nombreux groupes au sein de la société civile ont travaillé dur pour défendre et exiger des droits et des protections pour les non-citoyens, en particulier les demandeurs d'asile et les travailleurs temporaires.

 

A l’échelle internationale et en termes de relations entre les États-nations, la solidarité transnationale est devenue à la fois une victime du COVID-19 et une composante clé de la stratégie globale de réponse collective. En effet, au moins au début, la solidarité transnationale a été sacrifiée dans la précipitation pour contenir, prévenir et, espérons-le, éradiquer le COVID-19. Ce fut le cas dans de nombreux pays qui se sont empressés de fermer leurs frontières aux non-citoyens, de mettre un terme à la mobilité internationale des étudiants, de fermer les aéroports, tout cela sans pour autant stopper le commerce international et le tourisme. Toutes ces mesures représentent un coup dur pour la mondialisation et sa dépendance à la libre circulation des services, des personnes et des biens. C'est également un coup porté aux principes directeurs du dialogue interculturel, qui exigent un engagement délibératif sur les questions d'intérêt mutuel, y compris les passages de frontières et l'échange de ces biens et services qui affectent la vie et les moyens de subsistance des individus au-delà des frontières.

 

Mais la situation actuelle du COVID-19 nous offre également l'espoir de nouvelles façons de former et de maintenir la solidarité entre les milieux culturels, les traditions religieuses, les systèmes politiques et les frontières géographiques. Cette nouvelle solidarité transnationale, plus positive, s'est manifestée sous la forme d'une «diplomatie médicale» interculturelle et transnationale, par laquelle des pays ont envoyé médecins, ambulanciers paramédicaux, médicaments et matériel médical au-delà des frontières vers les pays les plus durement touchés par la pandémie et qui manquaient d’expertise médicale et d’approvisionnement. Les exemples de Cuba, de la Chine et de l'Inde sont intéressants, où des médecins, des médicaments et du matériel médical ont été respectivement utilisés pour s'engager dans cette nouvelle forme de solidarité transnationale à un moment de crise sanitaire aiguë. Cette forme d'engagement transnational met en évidence la nature profondément interdépendante de notre monde globalisé et la mesure dans laquelle il est non seulement intimement interconnecté mais, plus important encore, irréversiblement interdépendant. Notre ordre mondial post-COVID-19 doit tenir compte des leçons de cette pandémie alors qu'elle reconfigure les relations internationales, l'engagement interculturel et la solidarité transnationale de manière à nous permettre de mieux faire face aux crises futures lorsqu'elles se manifesteront.

 

L'épidémie du coronavirus à Wuhan, en Chine, et sa propagation rapide à travers le monde, illustre cette interdépendance et met en évidence le besoin urgent d'une plus grande collaboration entre les domaines médical, technologique, économique, environnemental et social afin d'assurer la sécurité et le bien-être de tous les citoyens du monde, indépendamment de la géographie, de l'ethnie, de la religion ou du niveau de développement économique national. Ce que révèlent des pandémies telles que le COVID-19, c'est que la communauté internationale ne sera pas capable de contenir de manière optimale des virus hautement infectieux tant que demeureront des systèmes de santé affaiblis dans les pays les moins développés. Eliminer la menace sanitaire actuelle, ainsi que d'autres menaces mondiales, nécessitent d’autant plus de solidarité transnationale, plus de dialogue interculturel et un renforcement de capacités plus équitables autour des objectifs ambitieux de développement durable. La solidarité transnationale et le dialogue interculturel valent non seulement la peine d'être poursuivis pour leurs tendances utopiques, cosmopolites et éthiques, mais aussi pour leur rôle pratique, critique et transformationnel dans la garantie de la sécurité, du bien-être et de la durabilité de l'ensemble de la communauté internationale.

 

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Professeur Fethi Mansouri est directeur-fondateur de l’Institut Alfred Deakin pour la citoyenneté et la mondialisation de l’Université Deakin, (Melbourne, Australie). Il est titulaire de la Chaire UNESCO en recherche comparée sur la diversité culturelle et la justice sociale et coordonnateur du réseau UNITWIN sur le dialogue interreligieux pour l’entente interculturelle (IDIU).

 

Email: fethi.mansouri@deakin.edu.au

Fethi Mansouri | Institut Alfred Deakin | Chaire UNESCO en recherche comparée sur la diversité culturelle et la justice sociale

 

Ouvrages récents:

(2019), ‘Contesting the Theological Foundations of Islamism and Violent Extremism’.

(2019, 2e édition en français): ‘L'interculturalisme à la croisée des chemins: perspectives comparatives sur les concepts, les politiques et les pratiques’. UNESCO Publishing, Paris.

 

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