Au Canada, les leçons que nous avons apprises en ce qui concerne l’éducation sur la réconciliation avec les peuples autochtones se sont avérées significatives, valorisantes et pleines d’espoir pour l’avenir. Ces leçons pourraient bien nous mener sur la voie universelle de la paix, du respect et de la solidarité, peu importe notre emplacement géographique ou notre situation. Elles nous rappellent ce qui suit :
En éduquant les apprenants dès leur plus jeune âge en ce qui concerne la réconciliation, nous mettons toutes les chances de notre côté pour les munir des connaissances, des valeurs et des capacités requises pour que nous puissions tous coexister dans la paix et le respect.
Il est impossible de parvenir à une réconciliation sans tenter ouvertement et courageusement de comprendre tous les aspects de la vérité.
Pour établir des relations respectueuses, il faut savoir reconnaître la vérité de chaque être humain.
En tant que pays, il est bien plus valorisant de faire preuve de courage et d’intégrité face à notre histoire coloniale, en acceptant notre part de responsabilité et en prenant des mesures afin de favoriser la réconciliation que de continuer à jouir d’une réputation qui repose sur des faussetés et un récit historique erroné.
Lorsqu’il est question de compassion et d’humanité, les enfants sont souvent les enseignants de leurs parents et grands-parents, et ils sont sans aucun doute les agents de changement social les plus courageux.
Le cheminement du cœur à la tête peut être long, mais il est possible avec une intention et un engagement authentiques envers l’humanité, une personne à la fois.
Dans l’histoire récente du Canada, le terme « réconciliation » est plus communément associé avec le travail réalisé par la Commission de vérité et réconciliation du Canada (ci-dessous, CVR), qui a officiellement vu le jour le 2 juin 2008 et qui a tenu sa cérémonie de clôture le 3 juin 2015 (son rapport final a été publié le 15 décembre 2015). Étant l’une des cinq composantes de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (ci-dessous, CRRPI), la CVR était un processus par lequel les survivants des pensionnats indiens pourraient éduquer tous les Canadiens dans leurs propres mots. La mission de la CVR était d’informer tous les Canadiens de ce qui est arrivé dans les pensionnats indiens. La Commission a documenté les témoignages des survivants, de leurs familles, de leurs collectivités et de toutes les personnes touchées par l’expérience des pensionnats indiens.
En termes généraux, la plupart des Canadiens voient la réconciliation comme un processus visant à réparer et à reconstruire les relations entre les peuples autochtones (Premières Nations, Métis et Inuits) et les Canadiens allochtones. Certains Canadiens ont opté pour ce que l’on pourrait appeler la voie de la moindre résistance, ou la voie de la moindre responsabilité individuelle. À leur avis, la responsabilité de réparer les erreurs historiques, politiques et éthiques du pays revient entièrement au gouvernement fédéral et aux églises qui exploitaient les pensionnats. Des mesures ont été prises en ce sens le 11 juin 2008, lorsque le premier ministre du Canada et les chefs de tous les partis politiques fédéraux ont présenté des excuses. Cela a été immédiatement suivi par la mise en place d’un programme de compensation pour les Autochtones, en particulier pour ceux qui ont été arrachés de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités pour être placés dans des pensionnats indiens. Le Processus d’évaluation indépendant et le Paiement d’expérience commune ont été mis en place pour aborder les violations des droits de la personne dont les Autochtones ont été victimes dans ces pensionnats. Mais nous savons qu’une compensation financière ne suffit pas, et que les pays, les organisations et les organismes ne symbolisent pas la réconciliation. La réconciliation s’opère en effet grâce aux gens.
Pour les survivants des pensionnats indiens qui ont représenté les autres survivants lors des négociations menées dans le cadre de la CRRPI, il s’avérait primordial d’éduquer les Canadiens sur la vérité concernant la façon dont ils ont été traités, leurs expériences et les répercussions des pensionnats, à la fois directes et intergénérationnelles. Ceci étant dit, tout au long de la période d’activité de la CVR et par la suite, le terme « réconciliation » a probablement suscité davantage d’attention et fait l’objet de plus de débats que les processus eux-mêmes ayant été établis en application de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens.
Durant la période d’activité de la CVR, l’une des questions les plus soulevées dans le cadre des forums sur la recherche de la vérité et la réconciliation était « Qu’est-ce que la réconciliation? » Ensuite, on s’est demandé « Comment aboutit-on à la réconciliation? » Il est incontestable que le concept de réconciliation ne signifie pas la même chose pour tous. Pour certains survivants des pensionnats, cela signifie de se réconcilier avec les faits concernant l’évolution du système et les raisons pour lesquelles leurs familles et leurs communautés ont été ciblées de façon aussi inhumaine par le gouvernement et le clergé. De nombreux survivants intergénérationnels des pensionnats ont exprimé le besoin de se réconcilier avec la colère, l’amertume et la rancœur qu’ils ont longtemps entretenues envers leurs parents survivants pour toute la souffrance qu’ils ont vécue pendant leur enfance. La plupart d’entre eux ignoraient les traumatismes que leurs parents avaient subis et qu’ils leur ont ensuite transmis.
Pour la majorité des Canadiens allochtones, la réconciliation avec le choc et la consternation entourant notre histoire coloniale et notre identité en tant que pays s’est avérée assez bouleversante. Certains ont fait preuve de déni, alors que d’autres ont éprouvé de la honte et du désenchantement. Malgré cela, une grande partie de la population a choisi d’agir en faveur de la réconciliation en se renseignant davantage et en vivant autrement dans le but de s’éduquer au profit de tous.
Toujours dans cette optique de faire connaître une version authentique et intégrale de l’histoire en vue de bâtir une société canadienne plus pacifique, de nombreux peuples autochtones ont continué d’appliquer le précepte voulant que « la vérité l’emporte sur la réconciliation ». En effet, qu’est-ce que la « recherche de la vérité » s’il ne s’agit pas d’éducation?
La Commission de vérité et réconciliation du Canada était à l’évidence fortement axée sur l’enseignement, tant formel que public, dans le but de répondre aux demandes des survivants et de la majorité de Canadiens qui ont déclaré ne rien savoir au sujet des pensionnats indiens, qui ont été officiellement exploités pendant plus de 160 ans au Canada. Dans le rapport sur les 94 appels à l’action publié par la CVR le 3 juin 2015, les commissaires ont consacré deux sections à l’éducation.
Dans les appels à l’action 6 à 12 de la section Éducation, on demande directement au gouvernement fédéral de s’attaquer aux inégalités qui touchent chaque jour les étudiants autochtones, et plus particulièrement ceux issus des Premières Nations, ici même au Canada. Ces inégalités portent notamment sur les niveaux de financement, les programmes d’études pertinents, les droits linguistiques des autochtones, les relations découlant des traités et la participation des Autochtones dans la prise de décisions visant à résoudre ces problèmes, que ce soit à l’échelle familiale, communautaire ou nationale.
Dans la deuxième section axée sur l’éducation, dans le cadre des appels à l’action de la CVR, intitulée L’éducation pour la réconciliation, les appels à l’action 62 à 65 sont en adéquation directe avec les fondements de l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM), un principe proposé par l’UNESCO. Dans ces appels à l’action, les commissionnaires demandent à tous les ordres du gouvernement d’offrir un financement aux peuples autochtones et de collaborer avec eux afin de concevoir des programmes d’enseignement obligatoires et des ressources adaptés aux Autochtones pour tous les élèves du pays. Plus précisément, la Commission demande « de rendre obligatoire l’établissement d’un programme adapté à l’âge des élèves portant sur les pensionnats, les traités de même que les contributions historiques et contemporaines des peuples autochtones à l’histoire du Canada, d’élaborer des programmes d’études et de ressources d’apprentissage sur les peuples autochtones dans l’histoire du Canada, et sur l’histoire et l’héritage des pensionnats et d’utiliser les connaissances et les méthodes d’enseignement autochtones dans les salles de classe ».
Cette section des appels à l’action établit des paramètres et des processus pour favoriser la mise en œuvre des changements demandés, y compris les appels visant à évaluer les besoins de formation des enseignants, et pour « prévoir les fonds nécessaires pour permettre aux établissements d’enseignement postsecondaire de former les enseignants; créer des postes de niveau supérieur au sein du gouvernement, à l’échelon du sous-ministre adjoint ou à un échelon plus élevé, dont les titulaires seront chargés du contenu autochtone dans le domaine de l’éducation; et d’établir un programme national de recherche bénéficiant d’un financement pluriannuel pour mieux faire comprendre les facteurs associés à la réconciliation dans l’optique de renforcer la compréhension interculturelle, l’empathie et le respect mutuel chez les élèves ».
L’importance de l’éducation dans la quête de la réconciliation est devenue de plus en plus évidente au fil du mandat de la CVR. En effet, bien que seulement deux sections sur 22 du rapport sur les appels à l’action contiennent le terme « éducation » dans leur titre, force est de constater qu’environ 80 % des 94 appels à l’action abordent des activités d’éducation. À titre de commissaire en chef de la Commission de vérité et réconciliation, le juge Murray Sinclair a souvent répété que « c’est l’éducation qui nous a mis dans ce pétrin, et c’est l’éducation qui nous en sortira ».
Il n’y a pas de meilleur modèle d’éducation pour nous défaire de notre lourd héritage au Canada que celui de l’éducation à la citoyenneté mondiale. Sans le dévouement et le courage des enseignants, il aurait été impossible de répondre aux appels à l’action, non seulement ceux des commissaires de la CVR, mais aussi ceux des survivants, des familles et des collectivités, en vue de chercher la vérité et de favoriser la réconciliACTION (un terme créé par Stan Wesley, survivant intergénérationnel issu de la nation crie de Moose Factory, en Ontario). Bon nombre de ces agents de changement ont eu accès à d’excellentes ressources éducatives créées par la Legacy of Hope Foundation ou leurs associations d’enseignants respectives, à une époque où les ressources accessibles aux enseignants étaient très limitées. D’autres ont créé leurs propres leçons, modules et ressources tandis qu’ils apprenaient en même temps que leurs élèves.
L’un de ces programmes éducatifs, intitulé Projet du Cœur, a commencé par une requête d’un élève. Jouissant aujourd’hui d’une grande renommée à l’échelle nationale, il a permis à des milliers d’enseignants et d’élèves de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada de suivre un parcours d’apprentissage fondamental. Sylvia Smith, une enseignante au secondaire à Ottawa, a immédiatement reconnu l’importance de la question de son élève au sujet des pensionnats indiens et a rapidement pris des mesures pour mettre sur pied un projet remarquable d’apprentissage, de l’enquête à l’action dirigé par ses élèves. Mme Smith a ensuite communiqué avec d’autres enseignants et élèves de partout au pays pour leur demander de se joindre à ce mouvement.
Le Projet du Cœur présente plusieurs caractéristiques qui démontrent parfaitement que l’éducation ne fait pas qu’appuyer la réconciliation; elle en favorise la concrétisation. Le fait que Mme Smith a créé le Projet du Cœur avec ses élèves, grâce à un processus d’apprentissage suscitant l’action et l’engagement, est la clé de son succès. Elle a facilité le parcours de recherche de la vérité de ses élèves, les a guidés à l’aide de jalons basés sur les valeurs, leur a fait confiance en les considérant comme des apprenants actifs et responsables et leur a donné les moyens de devenir les auteurs de leurs propres récits et des agents de changement. Ensemble, cette enseignante et ses élèves ont créé un parcours d’apprentissage fondamental étape par étape qui prévoyait, ou plutôt exigeait, que l’enseignement soit adapté en fonction du milieu afin de permettre aux élèves de jouer un rôle dans la narration de l’histoire et de favoriser le changement social.
Le parcours d’apprentissage proactif du Projet du Cœur, de l’enquête à l’action, est alimenté par le désir de chaque élève de chercher la vérité afin de tirer ses propres conclusions. Dans leur quête de savoir et de compréhension, les élèves consultent des documents de source primaire, tant des témoignages de survivants que des dossiers inédits rédigés et conservés par le gouvernement et les églises. Comme moyen tangible de reconnaître la vérité et s’engager à favoriser le changement social de manière concrète, chaque élève crée des représentations physiques sous forme de petits carrés de bois symbolisant la réconciliation, chacun visant à rendre hommage à un enfant qui a perdu la vie dans le système des pensionnats indiens.
Enfin, et par-dessus tout, les élèves sont mis au défi de poser des gestes pouvant contribuer à changer les choses en matière de justice sociale et de déployer des efforts en vue de favoriser la réconciliation au Canada. Pour boucler la boucle de l’apprentissage dans un esprit de civisme et de solidarité, les élèves et les enseignants publient de courts articles de blogue captivants et concis. Ensuite, ils envoient ces publications aux responsables du site Web du Projet du Cœur, soit Sylvia Smith, l’enseignante fondatrice (aujourd’hui retraitée) et sa famille, pour qu’elles soient partagées sur ce site accessible au public. Cette collection de publications inspire et motive d’autres enseignants et élèves de partout au pays et d’ailleurs à chercher la vérité et à agir en faveur de la réconciliation au sein de leurs communautés respectives, qui se trouvent sur les terres des Premiers Peuples.
L’éducation à la réconciliation est essentielle pour que les gens puissent cohabiter sur ces terres, dans la paix et la justice. Lorsqu’elle repose sur une recherche honnête et courageuse de la vérité et des gestes concrets en faveur de la réconciliation et de la justice sociale, elle contribue à transformer de simples apprenants en agents de changement proactifs. Cela est à la base du principe d’éducation à la citoyenneté mondiale, et nous remplit d’espoir pour l’avenir.
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Charlene Bearhead, directrice du programme de réconciliation à la Société géographique royale du Canada.
Dans le cadre des événements nationaux organisés par la Commission de vérité et réconciliation de 2012 à 2015, elle était responsable de la coordination des Journées de l’éducation. Mme Bearhead fut la première responsable de l’éducation du Centre national pour la vérité et la réconciliation de l’Université du Manitoba, la première responsable de l’éducation et de la programmation de l’Indian Residential School History and Dialogue Centre de l’Université de la Colombie-Britannique et la coordonnatrice de l’éducation pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au Canada.
URL:
https://fr.ccunesco.ca/ideeslab/reconciliation-et-education-au-canada