En 2001, le ministère de l’Éducation du Québec prenait la décision de joindre formellement, pour la première fois, l’enseignement de l’histoire et l’éducation à la citoyenneté. Logique selon plusieurs, puisqu’implicite « depuis les tout débuts de l’école publique, au Québec comme dans la plupart des pays occidentaux », l’association devait répondre au contexte occidental rencontré par les sociétés démocratiques et caractérisé par l’ac-croissement des mouvements de population et la globalisation de l’économie. Effectif au secondaire depuis 2005, l’enseignement associé des deux matières a pour dessein la promotion d’un vivre-ensemble harmonieux devant préserver la cohésion sociale. Pourtant, un problème subsiste. Tan-dis que le rôle salutaire de la formation historique en regard de l’éducation civique est reconnu depuis longtemps, le fait d’attribuer la responsabilité de la socialisation politique et du façonnement de la conscience citoyenne des élèves aux enseignants d’histoire ne risque-t-il pas d’instrumentaliser cette matière ? En d’autres mots, n’est-il pas dangereux d’affirmer, comme le fait le sous-ministre adjoint à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire et secondaire Pierre Bergevin, « que maintenant l’histoire doit avant tout servir d’éducation à la citoyenneté » ? Cette association pose la question qu’évoque François Audigier, à savoir, faut-il pro-céder de l’histoire et s’interroger sur la contribution de cette dernière à la conscience citoyenne, ou procéder des aspects de la conscience citoyenne que l’on souhaite construire et déterminer alors les objets historiques dont il faut privilégier l’étude ? L’expérience de nations comparables à l’échelle planétaire nous fait douter de la pertinence de l’association des deux dis-ciplines. En fait, certaines démocraties occidentales s’inquiètent de la qualité de la formation citoyenne de leurs jeunes depuis les vagues d’industriali-sation et les grandes guerres des XIXe et XXe siècles qui ont bouleversé à jamais les mœurs : intensifi cation des migrations, bouleversements des rôles sociaux, perte d’infl uence des religions, etc. Ainsi, bien que la Grande-Bretagne prenne depuis un moment le chemin pris par le Québec, la France dissocie clairement l’enseignement de l’histoire et celui de l’édu-cation civique. Afi n de saisir l’ensemble des tenants et aboutissants de la question, nous dressons d’abord le portrait du contexte à l’origine de l’as-sociation de l’histoire et de l’éducation à la citoyenneté. Ensuite, nous aborderons les arguments en faveur de l’association des deux matières, notamment en la Grande-Bretagne, en France et en Australie. Finalement, notre regard se portera sur le cas québécois et le type de citoyenneté privi-légié, afi n de déterminer si l’enseignement de l’histoire n’est pas instru-mentalisé au profi t d’une éducation à la citoyenneté valorisant l’occulta-tion des confl its et des divergences et si, pour reprendre des écrits de Robert Martineau, le ministère de l’Éducation a sacrifi é la classe d’histoire sur l’autel de l’éducation à la citoyenneté.